1907 - la Révolte des Vignerons |
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5 heures précises, nous partons cinquante, sac au dos, résolus.
Vingt-sept autres nous rejoignent par le train ... A Narbonne, je fais placer mes compagnons de route militairement, tambour, clairon, drapeau en tête. Il
est dix heures et demie, la commission d’enquête sort de la gare. On
bat aux champs. - Soyez tranquille, monsieur. Nous ne sommes pas des perturbateurs, mais des miséreux qui venons apitoyer sur notre situation les membres de la commission parlementaire. D’un pas alerte, nous nous rendons à la sous-préfecture, tambour battant, clairon sonnant, drapeau déployé. Ferroul qui s’y trouve, s’écrie : « Ah ! ça ne m’étonne pas, ce sont ces fous d’Argelliers et cet imbécile d’Albert ». Oui,
Ferroul, c’étaient les fous d’Argelliers qui venaient réclamer justice
pour la viticulture expirante et vous étiez plus que tout autre mal
venu Midi. Nous sommes reçus par la commission. Je remets à M. Cazeaux-Cazalet l’ordre du jour du 5 mars et la pétition aux quatre cents signatures de 1905. Un peu étonné, le président me dit : - Voilà, certes, un précieux document. Pouvez-vous me le confier ? - Certainement, je l’ai apporté à cette intention. MM Brousse et Razimbaud viennent alors me serrer la main. - Nous avons allumé notre dernière chandelle, leur dis-je. Si vous attendez encore, nous n’y verrons plus clair. - Je vous promets, répond M Cazeaux-Cazalet, au nom de mes collègues, que nous ferons tout pour que vous ayez satisfaction. Cette
promesse nous réjouit et nous faisons le tour de la ville en chantant
pour la première fois la Vigneronne, due à la plume de deux de nos
concitoyens. Nous rentrons le soir à Argelliers, exténués de fatigue, mais déterminés à poursuivre la lutte. Et les jours suivants sont consacrés à l’organisation du fameux comité d’initiative dont j’eus la présidence. C’est
chez moi, dans une salle du rez-de-chaussée modestement meublée de
quelques chaises, d’une grande table, d’un buffet pour les archives,
que fut installé le bureau de la Défense viticole. [extrait du Cahier N°2 "Les Mémoires"] ......................... Le 18 février, douloureusement impressionné par la misère qui s’étend de plus en plus, je télégraphie à Clemenceau : Midi se meurt. Au nom de tous, ouvriers, commerçants, viticulteurs, maris sans espoir, enfants sans pain, mères prêtes au déshonneur, preuve fraude étant faite, abrogez loi 1903. Voilà l’honnêteté. Devoir gouvernement empêcher choc. S’il se produit, les clefs ouvriront portes prison, pourront jamais rouvrir portes tombeaux. ~§~ Je décidai d’aller me faire arrêter chez Clemenceau. J’écrivis aussitôt cette lettre dont communication fut donnée à la Presse. Monsieur le ministre de l’Intérieur, Je viens solliciter de vous le retrait des troupes dans le Midi, la mise en liberté des détenus d’Argelliers et de Ferroul, la répression des fraudes et vous prier de tendre une main amie à la viticulture, pour le plus grand bien de la République. Veuillez agréer, etc., etc. Marcelin ALBERT. ................................ Le
lendemain, je me rends place Beauvau et remets ma requête à un huissier
avec prière de la transmettre d’urgence à qui de droit. Cinq minutes se
passent et l’huissier revenant m’invite à le suivre jusqu’à la chambre
du Conseil, où m’attend le ministre. Il est dix heures vingt. « Sacrebleu, foutez-moi le camp, je ne veux personne ici. » - Je viens, dis-je alors, chercher la réponse à ma lettre et me constituer prisonnier. - Si je vous au fait appeler, ce n’est pas pour vous arrêter. On n’arrête pas chez moi. Asseyez-vous et causons. - Volontiers. - Savez-vous que vous faites du propre dans le Midi ? Vous avez tout bouleversé et votre responsabilité est énorme. -
Je le reconnais, mais vous avez aussi la vôtre. Vous allez bien voir ce
qui se passe dans les grèves, - Mais, sacrebleu, vous ne demandez rien. Vous dites simplement : faites-nous vendre nos vins. - Si vous me l’aviez demandé, je vous aurais répondu. - Vous ne voyez donc pas que tous les ambitieux conspirent contre le pouvoir et que le duc d’Orléans est à nos portes ? - Puis-je empêcher les gens d’avoir de mauvais desseins ? Je jure que mon seul et unique but, à moi, c’est la défense de la viticulture. - Est-ce que le Midi souffre autant qu’on veut bien le dire ? J’expose alors notre profonde détresse et à cette évocation de tant de tourments, de tant de ruines accumulées, je ne puis retenir mes larmes. De voir un homme de mon âge, sur le seuil de la vieillesse, pleurer, le Président est ému lui-même, car spontanément il me dit : - Avant de vous entendre, je doutais de vous, mais à partir de ce moment, je suis sûr que vous êtes un honnête homme. - Vous n’auriez jamais dû en douter. - Etes-vous républicain ? - Profondément, et patriote aussi. En 70, quoique fils de veuve, je me suis engagé pour la durée de la guerre. - Eh bien, écoutez-moi. Je vous promets que le Gouvernement fera tout pour obtenir l’apaisement et que de mon côté je réprimerai les fraudes. Je ne vous force pas. Voulez-vous, sans tarder, essayer de réunir les maires et leur proposer de rentrer dans la légalité ? Je réfléchis un instant et, comprenant que les maires auraient ainsi leur part de responsabilité, je réponds : - J’accepte, mais je ne vous promets rien. Et si je ne réussis pas ? - Vous aurez fait votre devoir et vous irez vous constituer prisonnier à Montpellier. S’asseyant à son bureau, il rédige un sauf-conduit qu’il déchire, puis un second qu’il me tend dont voici une copie conforme, avec l’erreur involontaire de date :
Paris, 23 Mai 1907. (Au lieu de 23 juin) J’invite les autorités civiles et militaires à laisser circuler jusqu’à nouvel ordre dans toute l’étendue du territoire, M. Marcelin Albert, porteur du présent écrit, qui retourne dans le département de l’Aude pour se mettre à la disposition de la loi. G. Clemenceau. ¨ ~§~ Je télégraphie au président du Conseil le résultat de mes démarches et le lendemain, 26 juin, à trois heures, je vais me constituer prisonnier au Palais de Justice de Montpellier. Le 27, je recevais à la prison cette réponse du ministre, à mon télégramme de la veille. Paris, 26 juin, 5h. s. Clemenceau à Marcelin Albert, Je
prends acte de l’absolue loyauté avec laquelle vous avez exécuté vos
promesses librement consenties. De mon côté, je ferai mon possible pour
obtenir apaisement.
Photos Copyright Bouscarle Salis |
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