du 04 septembre 2022 Le petit train de 18h44... Précédé de grands coups de sifflet, c'est à 18h44 que le petit train à vapeur 146 entre en gare de Thézan. Il a quitté Narbonne 1h30 plus tôt et a parcouru le chemin à la vitesse folle de 20 kms heure. Son aventure va durer 30 ans. C'est le 1er Juin 1902 que fut inauguré la ligne Lézignan-Thézan-La Nouvelle, avec halte à Donos, au Cinglé et à Ripaud. Il fera de Thézan le grand carrefour des Corbières. Que l'on vienne de Tuchan, Lézignan, Port-la-Nouvelle, Mouthoumet ou Narbonne, on passe par son poste d' aiguillage.
Compte tenu de l' important trafic de passagers et de marchandises, le métier d' aiguilleur à Thézan était un poste à haute responsabilité et répondait à un cérémonial immuable. A l'arrivée d'un train Narbonne, il devait s'assurer de visu qu'aucun convoi n'arrivait sur le tronçon commun Durban - Port La Nouvelle, puis téléphoner à la gare de Thézan pour obtenir l'autorisation de basculer l' aiguillage. le poste d'aiguillage de Thézan avec sa guérite équipée du téléphone Bien sûr en ces temps là, l'aiguilleur des rails devait avoir beaucoup de cordes à son arc. Sur la tête de ligne ferroviaire de Thézan, on fît feu de tout bois pour faire face aux vendanges abondantes de 1910 et 1911 expédiées dans la France entière. Plus de voies, plus de quai plus longs, plus de dortoirs dans la remise des machines, plus d' entretien de la plaque tournante ou du château d'eau. Chaque cheminot devenait aussi cantonnier, chauffeur de locomotive (celui qui chauffe le foyer de la motrice avec la pelle à charbon, ne pas confondre avec le conducteur), serre-frein ( métier disparu, aussi utile que dangereux dans les descentes ). Il devait aussi avoir de gros biceps pour actionner la pompe à bras qui amenait l'eau du réservoir vers la machine à vapeur. Bien sûr il fallait aussi s' occuper de l'éclairage de la gare avec des lampes à huile ( les municipalités avaient refusé l' électricité jugée trop chère et trop "gadget" ), et on le verra plus loin, notre polyvalent devait aussi savoir confectionner l' hiver des bouillottes pour les voyageurs... Si à l' aube du Siècle des Lumières, la grande gare de Thézan n' avait pas encore l' électricité, elle avait le téléphone, symbole majeur du progrès comparable aujourd' hui à l' avènement de l' Adsl dans les plus reculés de nos petits villages des Corbières. Le combiné trônait fièrement sur la table de la préposée, non moins fière de l' importance technique et stratégique de sa fonction. Toute les petites gares des Corbières étaient reliées entre elles.
Si à l' extérieur était le monde des garçons, l'intérieur de la gare était celui des filles. Traditionnellement recrutées dans le village, on trouvait au coté de notre téléphoniste, la receveuse de tickets qui devait se trouver à son poste une 1/2 heure avant l' arrivée et le départ de chaque train. Ce qui compte tenu de la fréquence du trafic pouvait faire de très longues journées... Elle possédait comme outil de travail une paire de ciseaux avec laquelle elle découpait le trajet encaissé sur un long serpentin de papier où était imprimé dans l' ordre le nom des stations de la ligne. Un coup de ciseau devant la station de départ, un coup de ciseau derrière celle d' arrivée, et notre voyageur n' a plus en main que la portion de son trajet... Simple et efficace, non ? A l' arrivée de chaque train accompagné de son concert de sifflets, de martellement des pistons, des jets stridents de la vapeur, c'était l'effervescence au milieu de la fumée âcre des briquettes de charbon de la grande cheminée de la locomotive Corpet-Louvet. Sur le quai on retrouvait en vrac, le Chef de Gare en uniforme et casquette à galon, son drapeau rouge et son sifflet réglementaire, le receveur des postes et sa brouette, la receveuse et son ciseau, le contrôleur et sa pince, sans oublier les barriques de vin que l'on roule, et les voyageurs qui cherchent une place...
Il y avait deux classes de voitures voyageurs. En première on avait droit à des sièges capitonnés garnis de draps couleurs mastic et des stores aux fenêtres. En seconde, on se contentait de banquettes en lattes de bois. Chaque voiture étaient éclairée par deux lampes à huile qu'un préposé était chargé d'allumer et d'alimenter. Tous les Dimanches de mi-juillet à mi-Août, "les Trains du Plaisir" avec strapontins, plates-formes et cotés largement ouverts, emportaient toute la jeunesse des villages vers la plage de Port la Nouvelle. Les rames surchargées se suivaient en convois jusqu'à la mer, et compte tenu de l'euphorie turbulente qui régnait à bord, on peut imaginer l'ambiance du retour à la nuit bien tombée.... ..si les banquettes en bois pouvaient parler....
l' Eté l'ambiance était chaude, l' hiver les wagons sans chauffage étaient souvent glacials pendant des trajets interminables. Je laisse aux nostalgiques du Certificat d' Etudes le soin de calculer combien de temps mettrait un train qui roule à 20 kms/heure (10 kms en montagne) pour aller de Durban à Mouthoumet. Pendant l' hiver 1905 les voyageurs firent une pétition pour l' installation de bouillottes. Chaque chef de train reçu quelques bouillottes que les mécaniciens de la locomotive remplissaient d'eau chaude. Les bouillottes étaient distribuées aux passagers qui en faisaient la demande, en commençant par les premières classes et ceux qui effectuaient le plus long trajet. Dans les anecdotes, il faut se souvenir que le train n' avait pas supprimé les classiques lignes de diligence. Ils étaient concurrents. Sur la liaison Tuchan ou Villeneuve vers la ville c'était la course. Le premier arrivé aux haltes et arrêts ramassait les voyageurs. La course finale avait lieu entre le tunnel de Ripaud et la boucle que fait la route a cet endroit au dessus de la rivière. Les collisions diligences-trains étaient monnaie courante, avec au pire la mort du cheval ou le déraillement du train...
C 'était Jacques Roger le voiturier de Thézan, qui tous les jours assurait le trajet par diligence entre Thézan et Narbonne, via Montséret et Saint André de Roquelongue. Au pas des chevaux et avec les nombreuses haltes en rase campagne, il fallait trois heures pour effectuer les 24 kms du voyage. On partait de Thézan à 5 heures du matin pour y revenir à 7 heures du soir. Une longue histoire de notre passé qui va survivre à la venue du petit train, mais sera balayée comme lui en peu de temps par le macadam des routes. Contrairement à ce que l'on peut croire aujourd' hui, les diligences n'ont pas existé que dans les vieux films de western. Dans nos Corbières, il y a à peine une ou deux grandes mères, elles faisaient partie de la vie quotidienne.
1907 - la Révolte des Vignerons - Des trains spéciaux gratuits transportent les manifestants dont les slogans recouvrent les wagons. "du pain ou la guerre". Tel les taxis de la Marne, c'est au train des Corbières que l'on doit l'ampleur des foules considérables rassemblées dans les grandes manifestations de Narbonne, Lézignan, Béziers ou Montpellier.
Le temps à passé, il n'est déjà plus question de désenclaver grâce au progrès de la science les petits villages de la Corbière, mais avant tout d' être rentable, et à ce jeu c'est la route qui va gagner la bataille du rail. Si au début du siècle le chemin de fer avait largement utilisé le réseau des routes existantes et des rues de villages, ce qui lui valut le nom américain de tramway, dès 1920 on goudronne les routes et les rails par la même occasion, ce qui permet aux camions et aux autobus d'emprunter de plus en plus les voies des trains. En 1932, la société TVA ( Compagnie de Tramways à Vapeur du Département de l' Aude ), lâchée par ses garants Conseil Général et Chambres de Commerce, déposa le bilan, les employés et les rails. mais personne ne retrouva trace des 100.000 traverses en bois du réseau... Si le temps a passé, la nostalgie du petit tram est restée vive dans la mémoire des anciens. Qui sait si un jour on ne verra pas renaître sur un tronçon des Corbières, un petit train touristique témoin d' une grande époque de notre région ???...
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